Ce début d’après-midi de mai, rue du Cherche-Midi, les persiennes aux tons pastel apposent leur habituel reflet sur la vitrine du N°19. Depuis plusieurs minutes, un homme d’âge mûr à la fois décontracté et élégant, se tient là, debout, immobile, légèrement en biais devant cette vitrine. A l’intérieur, Nicole, occupée par un petit groupe de clientes, l’observe du coin de l’œil. Le voilà maintenant qui prend des photos. Mais ce n’est pas l’un de ces touristes habituels qui prennent un rapide cliché avec un téléphone, non, le petit homme un peu rond prend son temps, il cherche un angle, vérifie sa composition, ajuste la mise au point et enfin appuie sur le bouton d’un très bel appareil photo. Dans la boutique, les clientes hésitent encore, pas facile de se décider entre le cardigan Vallrevers et le gilet Laps bordeaux… Nicole a l’habitude, elle tient cette boutique Catherine André depuis le début, en 2006, la toute première ouverte par la marque.

De l’autre côté de la vitrine l’homme est toujours là. Comme bien des lieux à Paris, la rue du Cherche-Midi est chargée d’histoire et il n’est pas rare d’y croiser toute sorte de curieux sur les traces du célèbre boulanger Poilâne, de Victor Hugo ou de l’abbé Grégoire, figure de la Révolution française, pour ne citer qu’eux. Le N°19 se distingue par le bas-relief qui décore le premier étage de la façade d’un cadran solaire. Installé en 1874, il remplace l'enseigne peinte qui représentait ce même motif, dans lequel un astronome et son jeune assistant tiennent un compas dont les pointes indiquent midi et quatorze heures. Cette scène, où l’on « cherche midi à quatorze heures » serait d’ailleurs à l’origine du nom de la rue.



Les clientes quittent la boutique et nous ne saurons pas qui de Vallrevers ou de Laps se trouve dans les sacs suspendus à leur bras. Nicole, toujours intriguée par ce qui se trame à l’extérieur, traverse la rue à la rencontre du mystérieux personnage. Elle s’approche et le salut d’un affable « bonjour ! » L’homme visiblement ravi d’être abordé mais quelque peu embarrassé joint ses mains et s'incline poliment « ohayo gozaimasu ! ». Il est japonais et ne parle à l’évidence pas anglais. A l’aide de quelques signes et mimiques, Nicole exprime tant bien que mal sa curiosité. Très aimable, le visiteur sort de sa sacoche un livre de photographies qu’il feuillette à la recherche d’une page. C’est un recueil de photos anciennes où l’on voit toutes sortes de devantures, d’émouvants moments d’un temps révolu. Voilà, il pointe du doigt une image, J. Laurans, marchand de vins, bière et liqueurs, installé au N°19 rue du Cherche-Midi au tout début du XXe siècle. Nicole regarde cette reproduction de l’une des premières prises de vues et pense immédiatement que le cliché va plaire à Catherine. Elle parvient à faire comprendre son intérêt à l’homme et file dans la boutique faire une photocopie de la page. Certes, l’échange se limite à des sourires et quelques gestes mais chacun est content de cette brève rencontre, ce partage si inattendu. De retour sur le trottoir, Nicole lui offre à nouveau un grand sourire et un hochement de tête en signe de remerciement. L’homme reprend son livre, s'incline pour la saluer et retourne à son exploration des rues de Paris.

Photographie Eugène Atget - 1900-1927
Appartient à un fonds de photographies vendu à l'Ecole des beaux-arts